LE MONDE DU TRAVAIL
Un
des principaux thèmes de l'écume des jours reste le monde
du travail. Bien que peu de chapitres abordent ce sujet, l'idée
de Colin sur le monde du travail, son comportement, celui de Chloé
vis à vis des travailleurs ne laissent aucun doute. Boris Vian
critique la hiérarchie des entreprises, les patrons, le système
du monde du travail en général. Les quelques exemples
en dessous, nous montrent comment Vian voit le monde du travail. Des
personnages complètement caricaturés, bêtes, méchants
entre eux.
Colin
et le travailleur: Colin se rend à la patinoire et découvre
un personnage qui a pour rôle de distribuer les casiers aux clients.
Vian rabaisse au maximum la tâche de cet homme, il ne note pas
les clients mais il "trace des initiales du client sur un rectangle
noirci à cet effet". Vian montre à travers les yeux
de Colin le monde des travailleurs. Cet homme à la patinoire
est méprisé par Colin, puisque c'est un travailleur. "Un
homme à chandail blanc lui ouvrit une cabine, encaissa le pourboire
qui lui servirait pour manger, car il avait l'air d'un menteur".
Ce que Vian veut dire, c'est que cet homme, "est un menteur"
car il va se servir du pourboire pour manger. Il travaille sans salaire,
et c'est ses pourboires qui lui servent à manger.
Les personnages secondaires et le travail: Nicolas, le serviteur de
Colin, est un homme très respectable, qui abuse de superlatifs
pour qualifier Colin, car il travaille pour lui. Il ne montre pas la
sa vraie personnalité, l'appât de l'argent le force à
changer son comportement pour pouvoir avoir son salaire. Lorsque dans
le premier chapitre, lorsqu'il travaille encore pour Colin, il parle
de la manière suivante: "Je n'ai pas l'avantage de connaître
Monsieur Chick, (...) cela me permettra de situer avec une quasi-certitude
l'ordre spatial de ses goûts et dégoûts" ou
encore "Une jolie jeune fille, d’ailleurs, si j'ose introduire
ce commentaire". Mais sur la fin du livre, lorsque Nicolas ne travaille
plus pour Colin, son langage change totalement, il est lui-même,
l'argent ne lui fait plus envie et ne le force donc pas à faire
des efforts de langage pour en avoir: "C'est dégueulasse
de ta part, dit Nicolas. J'ai l'air de foutre le camp comme un rat".
Mais Nicolas n'est pas le seul à changer de personnalité
lorsqu'il a affaire à l'argent. Les hommes d'Eglise, au mariage
de Colin et Chloé, offrent une grande cérémonie,
ils sont nombreux, font durer le mariage car ils savent qu'ils vont
être payés. Au contraire, à l'enterrement de Chloé,
lorsqu'ils savent que Colin est ruiné, ils bâclent la cérémonie,
balancent le corps de Chloé, arrivent dans une voiture de pompiers,
et repartent aussitôt.
Colin, Chloé, et les travailleurs: Après leur mariage
dans la grande église, Colin et Chloé partent en voyage
de noces. Leur mariage se faisait dans une grande église, avec
beaucoup de jaune (couleur qui porte bonheur à Colin), avec beaucoup
de monde, etc. représentait un endroit très gai. Puis,
lorsqu'ils prennent la route pour le voyage de noces, Nicolas qui conduit
la voiture passe par un chemin sombre, avec des trous dans la route,
un paysage très "glauque". Quand tout à coup,
Chloé aperçoit une "bête écailleuse
près d'un poteau télégraphique". La bête
en question se révèle être en fait un travailleur,
qui travaille dans l'entretient des lignes à hautes tensions.
Chloé dit alors "C'était... c'était laid".
Puis, après un virage, la voiture se retrouve à côté
des mines de cuivre, là où des centaines d'hommes travaillent.
"On ne voyait dans leurs yeux qu'une pitié un peu narquoise".
Chloé dit "Ils ne nous aiment pas, allons nous-en d'ici,
ils travaillent, mais ce n'est pas une raison. (...) Pourquoi sont-ils
si méprisants ?". S'engage alors une grande conversation
entre Colin et Chloé sur le monde du travail: "Ce n'est
pas tellement bien de travailler", "en général,
on trouve ça bien. En fait personne ne le pense, on le fait par
habitude", "en tous cas, c'est idiot de faire un travail que
des machines pourraient faire". Chloé se lance dans une
grande théorie lorsque Colin lui dit qu'il faut quelqu'un pour
fabriquer ces machines: "Oh, évidemment, pour faire un oeuf,
il faut une poule, mais une fois qu'on a la poule ou peut faire des
tas d’œufs. Il vaut donc mieux commencer par la poule".
Puis Colin conclut : "Ils sont bêtes. C'est pour ça
qu'ils sont d'accord avec ceux qui leur font croire que le travail,
c'est ce qu'il y a de mieux. Ca leur évite de réfléchir,
et de chercher à progresser et à ne plus travailler".
Colin et Chloé n'aiment donc vraiment pas le travail, et pensent
que ceux qui travaillent sont simplement "bêtes". Cette
ici une inversion, volontaire bien sûr de la part de Boris Vian,
puisque normalement, dans les romans, les héros sont les pauvres
qui combattent les inégalités et les riches, alors qu'ici,
les héros sont les riches... qui méprisent les pauvres.
Colin et son employeur: expliquons d'abord comment Colin en arrive à
devoir chercher du travail: Chloé est malade, et seules les fleurs
peuvent l'aider à se sentir mieux. Comme Colin n'a plus d'argent
parce que Chick lui a tout pris, il doit travailler, pour pouvoir en
acheter. Il se rend donc à une offre d'emploi. Ce passage est
celui qui critique le plus démonstrativement possible le monde
du travail. Colin arrive dans l'entreprise, se trouve devant "Une
porte noire ". Dans les bâtiments, les virages sont relevés,
ce qui force les gens (les travailleurs) à aller plus vite pour
ne pas tomber, et pour garder l'équilibre. Puis, enfin, Colin
arrive dans le bureau du directeur. "Il s'assit dans un fauteuil
réctif qui se cabra sous son poids, et ne s'arrêta que
sur un geste impératif de son maître". Et là
commence la critique des chefs d'entreprise, de leurs bêtises,
car le directeur sans même dire bonjour à Colin, commence
à poser des questions. " Que savez vous faire ?". Il
ne sait pas pour quel emploi on demande. Et paraît paranoïaque
à l'idée que Colin lui vole sa place. C'est quelqu'un
de méprisant, il appelle son sous-directeur en criant au téléphone.
Puis le sous-directeur est décrit sous un aspect encore plus
pathétique "Un homme miné par l'absorption continuelle
de poussières de papier, et dont on devinait les bronchioles
remplies, jusqu'à l'orifice de pâte cellulosique reconstituée".
C'est un homme détruit par le travail. L'homme a cassé
une chaise, et avoue avoir utilisé plusieurs tubes de colle pour
essayer de la réparer. Le directeur lui dit alors " Vous
les paierez! Je les retiendrai sur vos appointements !". Mais l'homme
répond qu'il a lui aussi retenu les tubes de colle sur le salaire
de sa secrétaire. Boris Vian se moque ici de la hiérarchie
des entreprises, que le directeur commande le sous-directeur, qui commande
lui sa secrétaire, qui commande, elle, un stagiaire, etc. En
plus de ça, le directeur et le sous-directeur sont décrits
comme bêtes, et se disputent pendant un bon moment pour cette
histoire de chaise, et finissent par trahir la vérité
lorsqu'ils traitent Colin de fainéant : "C'est ça,
dit le sous-directeur, (...), vous voulez prendre la place du directeur
!". Ce qui explique en fait que le plus fainéant dans une
entreprise, c'est le patron, suivit de son sous-directeur, etc. Puis
Colin s'en va, dégoûté encore plus du monde du travail.